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Interview de Maud Sarda cofondatrice du label Emmaüs

Interview de Maud Sarda cofondatrice du label Emmaüs

Le 17/01/2023

Site d’e-commerce fondé il y a six ans, Label Emmaüs est membre du réseau Emmaüs France et propose un modèle alternatif à l’hyperconsommation promue par les sites de vente en ligne. On y trouve de tout, mais surtout du sens, de nouvelles chances et l’espoir d’un renouveau de l’économie, fondée sur la solidarité, l’inclusion et la sobriété. Rencontre avec Maud Sarda, sa cofondatrice.

Site d’e-commerce fondé il y a six ans, Label Emmaüs est membre du réseau Emmaüs France et propose un modèle alternatif à l’hyperconsommation promue par les sites de vente en ligne. On y trouve de tout, mais surtout du sens, de nouvelles chances et l’espoir d’un renouveau de l’économie, fondée sur la solidarité, l’inclusion et la sobriété. Rencontre avec Maud Sarda, sa cofondatrice.

Propos recueillis par Gaïa Mugler

Label Emmaüs : L’e-commerce social et solidaireLabel Emmaüs : L’e-commerce social et solidaire

Pouvez-vous nous dire ce qui différencie Label Emmaüs d’un site d’e-commerce classique ?

Le Label Emmaüs est un contre-modèle de l’e-commerce et prolonge les valeurs du mouvement Emmaüs en tant que support d’insertion à l’emploi. C’est une deuxième chance pour les objets comme pour les personnes. Un tiers des effectifs est en insertion. Seules des structures de l’ESS (économie sociale et solidaire) peuvent vendre sur Label Emmaüs, ce n’est que de l’occasion ou du reconditionné. Et puis il y a une vraie différence écologique : le circuit est très court, les produits voyagent bien moins qu’avec d’autres e-commerces, et on ne vend qu’en France. 80 % des vendeurs utilisent des emballages récupérés. Cela s’est fait spontanément car cela correspond à la culture Emmaüs, mais on l’a ensuite encouragé.

Et dans les pratiques commerciales ?

Elles sont différentes aussi. On ne fait pas de livraison express. Le dernier kilomètre est toujours ce qui pollue le plus car on ne peut pas mutualiser. Plus on va vite, moins on peut mutualiser les livraisons, c’est pourquoi la livraison à domicile est la plus problématique. Ainsi, 70 % de nos livraisons se font en points relais. Et puis nous sommes une coopérative. Le fait d’être une coopérative, vous le savez chez Biocoop, suppose un vrai partage du pouvoir et de la richesse. Le site appartient aux structures vendeuses, aux salariés et aux clients qui le veulent. On a décidé de réinvestir 100 % des bénéfices dans la structure. Quant aux salaires, statutairement, les écarts sont limités de 1 à 5* et factuellement… de 1 à 3.

* Comme dans le cahier des charges de Biocoop.

D’année en année, voyez-vous une évolution des pratiques vers le site au moment des fêtes ?

Oui ! On a les mêmes temps forts de consommation que le marché du neuf, y compris les soldes, alors que nous refusons d’en faire, par souci de cohérence avec notre discours de sobriété. C’est très difficile de prendre une telle décision, mais on consomme encore beaucoup trop de fast fashion, nous avons donc décidé que le refus des soldes était incontournable.

Comment un tel commerce peut-il marcher ainsi, là où les autres luttent à coups de rabais et de matraquage publicitaire ?

Ce n’est pas facile. Mais on s’inscrit dans le temps long et, nous, on ne nourrit pas d’actionnaires. Il faut tenir bon. Le taux de satisfaction de la clientèle — 9,2/10, ce qui est rare dans le milieu — nous est favorable. Cela montre aussi que les gens attendent cette alternative. Reste à acquérir de la notoriété, à mieux nourrir le catalogue et à améliorer les outils informatiques que permet l’intelligence artificielle, notamment pour soutenir les vendeurs dans la création d’annonces.

Beaucoup de gens voient le travail d’insertion et de lutte contre le gaspillage que réalise Emmaüs comme une activité de charité… Y a-t-il un fond de vérité dans ce stéréotype ?

Emmaüs n’est pas un mouvement caritatif. Le travail est au centre du projet. L’idée était de créer une autre économie, qui soit au service du bien commun et qui intègre les gens en exclusion. Au Label, on forme des personnes peu qualifiées au numérique, d’où la création de Label École, notre centre de formation. Elle délivre un diplôme équivalent à un bac +3 en six mois à des personnes qui n’ont pas toujours le bac ! Les formateurs sont bénévoles, souvent venus du privé. Ce type de mécénat de compétences montre qu’on sait s’associer au monde privé qui veut s’engager, créer des passerelles, accueillir en stage. On a 86 % de réussite scolaire, et 85 % de nos élèves trouvent un emploi à l’issue de la formation. Le monde économique classique doit prendre sa part de responsabilité dans le combat social et écologique, et ce type d’alliance peut en être un bon exemple. C’est aussi dans la rencontre des univers que la magie se produit, et c’est ce qui combat les idées reçues, change les regards. Les crises sociale et écologique sont des enjeux tels qu’une personne seule n’a pas la clé à tout. Il faut que les modèles s’hybrident et que les forces s’unissent. On veut montrer que c’est possible et inspirer.

La seconde main, c’est un peu un « petit geste », non ? Est-ce que ça nous donne surtout bonne conscience ou est-ce un vrai accélérateur de transition sociale ?

Elle peut être un levier énorme. De nombreuses théories économiques très solides annoncent que la seconde main va dépasser le marché du neuf d’ici 2030. C’est une tendance de fond. Mais ne soyons pas naïfs, le capitalisme se réinvente aussi à travers ce marché. On peut tomber dans les mêmes travers que le reste en faisant de la seconde main, surtout lorsqu’on la privatise. N’oublions pas le travail des ONG et la valeur du don… Il faut inventer les modèles les plus coopératifs possibles.

 N’y a-t-il pas un effet d’accoutumance à la pauvreté et à l’injustice ? Comment faites-vous pour ne pas vous épuisersur le long terme ? Qu’est-ce qui vous pousse à persévérer dans une voie qui peut sembler, de loin, ingrate ?

L’insensibilité est un danger qui ne me guette pas, j’ai plutôt trop d’empathie. Me sentir découragée, comme une goutte d’eau dans l’océan, en revanche, cela m’arrive. Mais le contact avec les personnes qui passent chez nous redonne de l’énergie pour des mois. Sortir un individu de la rue peut paraître dérisoire, mais pour cette personne, c’est loin d’être une goutte d’eau !

Pour finir, comment agir à vos côtés ?

On a tous besoin de sens, et les moyens d’agir sont nombreux, de même que les points d’accueil et de vente Emmaüs : plus de
500 en France. En parler autour de soi, bien sûr, se faire ambassadeur d’une certaine manière. Vous pouvez donner, et donner aussi de belles choses, pas uniquement des objets que vous n’arrivez pas à vendre car dans ce cas nous n’y arriverons pas non plus. Aller chiner sur label-emmaus.co et, pourquoi pas, devenir sociétaire sont aussi de bons moyens de nous soutenir.

BIO EXPRESS

Maud SardaMaud Sarda
  • 2005 : Maud Sarda, née en Guadeloupe, est diplômée de l'EDHEC, une grande école de commerce
  • 2011 : Après cinq ans chez Accenture, elle quitte le privé pour entrer à Emmaüs.
  • 2016 : Elle cofonde la marketplace Label Emmaüs.
  • 2019 : Poursuivant dans la voie de l’inclusion, elle met sur pied l’école d’e-commerce Label École.
  • 2020 : Administratrice du Mouvement des entrepreneurs sociaux, elle lance en parallèle Trëmma, site de financement participatif par le don d’objets, attenant au Label Emmaüs.
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